lundi 15 octobre 2018

si j'étais un objet ...


             J'aimerais être...







... un livre
duquel on accoucherait sans césarienne
ni péridurale   mais, avec joie et douleur
un livre que l’on met en page et au monde
que l’on imprime et relie    que l’on lit et relit
 

j’aimerais être un livre de poésie

un livre que l’on achète

que l’on prête   que l’on donne
que l’on offre ou que l’on vole
un livre volage flirtant de mains en mains
et puis fidèle dans d’autres mains
 

un livre que l’on quitte
que l’on perd   que l’on jette
"Nathanaël, à présent, jette mon livre.
Émancipe-t’en. Quitte-moi".
 

un compagnon de vie et de jeux et de rêves
un livre que l’on lit au détour de nos doutes
de nos émotions premières ou par simple goût de la poésie

un livre que l’on lit et relit avec toujours autant 
de saisissement    de ravissement
un livre frère   père   époux   ami   amant
qui marche à nos côtés dans nos vies de labeur de vacance

un livre que l’on lit au fond de notre lit 

calé dans un fauteuil bien au chaud au coin du feu
assis solitaire sur un banc de jardin   un talus de chemin
allongé dans l’herbe fraiche à l’ombre du cerisier
ou du pommier   ou d’un autre arbre chéri et aimé

patient dans une salle d’attente encombrée
impatient sur un quai de gare déserté
ou debout sous un porche en un jour égaré
dans la rue   au bistrot en attendant un rendez-vous
ou bien Godo en deux actes sur les scènes de l’absurde

un livre qui nous accompagne loin en tout lieu
dans le train   le métro  ou le bus   en taxi

sur la plage   en forêt   "dans un coin de verdure
ou chante une rivière"
  les oiseaux   les enfants


un compagnon fidèle au pied de notre lit si près   si près de nous dans une poche sur le cœur

un livre que l’on entend respirer   murmurer
chanter après la pluie et sourire à la vie
et pleurer   et souffrir  et arracher le cœur

j’aimerais être un livre tout petit

que l’on hume   que l’on goûte   que l’on sente et protège
que l’on garde à l’abri du non-amour   des fripons   des voyous 
que l’on range   que l’on prenne souvent d’une main amoureuse
qui caresse et effleure du doigt le grain de la page
la virgule et le point   le mot et le velours de la phrase
 

un livre que l’on embrasse du regard et des lèvres
que l’on dévore des yeux   que l’on garde sous la langue
que l’on chérisse sans fin de lectures renouvelées
 

si j’étais … un objet
j’aimerais être ce livre   tout petit sur le cœur du lecteur
sur ton cœur et le mien et le votre et le sien   
                                          et celui du voisin.








4 commentaires:

Merciel a dit…

Chère Maria,

Merci ... J'adore ...

Si j’étais une chose ,,, Je serais encre, l’encre des origine. Encre noire comme l’ébène, intensité du sens imprimé à jamais en chaque mot, sève magique douée d’intelligence, capable de porter et transmettre le code secret qui vibre au cœur de la Parole, essence du son et des images qu’Elle exprime. Encre, je glisserais sensuelle et heureuse en caressant la silhouette de chaque lettre : en façonnant la parole, je ne ferais qu’une avec elle, porteuse de l’essence et de ses mystères arc-en-ciel. J’aimerais bien de me baigner dans ses eaux, de la nourrir et de l’accompagner, en voyageant en profondeur dans des abîmes et les cieux de son sens, en me mêlant à sa vie intérieure, vie de sa vie.
Mon existence serait une danse continue tissée de Son et de Sens et de Beauté. Je glisserais comme fait l'eau sur les hanches qu’elle baigne, tout doucement … puis je sauterais d’une branche à l’autre comme le chat pour atteindre la proie, ou je m’envolerais au bord de la page comme l'hirondelle pour tisser la toile ... j’aurais pour berceau l'étreinte fidèle du papier, terre fertile et généreuse, et mon foyer serait en tout Sa voûte céleste de sens et de vie … en tout, au cœur de tout, une douce vertige bleu ciel.

Bernard a dit…

Il me plaît bien ton texte Maria, et ton objet aussi!
Y ajouter d'autres mots serait sans objet...
A moins que je te donne quelque chose qui ne meure pas?

http://pictify.saatchigallery.com/files/works/arts-photography-lifestyle-edouard-boubat-1427248198_b.jpg

Anonyme a dit…

Il faut aimer passionnément le livre pour l'écrire ainsi. J'aime beaucoup votre texte moi aussi.

Ce livre ouvert et bilingue quel est-il ?
"Mi corazon oye bien
la letra de tu cariño..."

mémoire du silence a dit…

@ Merciel ...

Merci Merciel, joli retour ;-)


"D'une bouteille d'encre

On peut tout retirer :

Le navire avec l'ancre,

La chèvre avec le pré,

La tour avec la reine,

La branche avec l'oiseau,

L'esclave avec la chaîne,

L'ours avec l'Esquimau.

D'une bouteille d'encre

On peut tout retirer :

Si l'on n'est pas un cancre

Et qu'on sait dessiner. "


Maurice Carême



@ Bernard ...

merci infiniment pour le cadeau ;-)
en retour cela s'impose ... je t'invite à cliquer sur le texte ;-)


"Je suis vivant.
Je suis vivant à l’heure où j’écris cette première phrase et vous êtes vivant à l’heure où vous la lisez. D’autres heures suivront, jusqu’à celle où je ne pourrai plus écrire cette phrase et où vous ne saurez plus la lire. Oui, d’autres heures viendront, nécessairement. Ne nous en soucions pas. Pour l’instant, avec nos yeux éphémères, avec nos âmes passagères, saluons-nous, moi en écrivant, vous en me lisant. Boubat passe son temps ainsi, à saluer de jeunes lumières un peu partout sur la terre. Saluer cette vie qui, d'heure en heure, s'apprête à nous quitter, est marque de courtoisie. L'amitié de ce salut fait la terre douce au pas, légère au songe."


Celui que l’on aime / Gallimard … p.10





@ anonyme ...

merci beaucoup

Il s'agit d'une petite anthologie poétique de Juan Ramon Jiménez, poète espagnol que j'aime beaucoup

ICI