vendredi 7 décembre 2018

voila pourquoi nous voulons des coquelicots








Un matin

Dès le matin, par mes grand’routes coutumières 
Qui traversent champs et vergers, 
Je suis parti clair et léger, 
Le corps enveloppé de vent et de lumière. 

Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ; 
C’est fête et joie en ma poitrine ; 
Que m’importent droits et doctrines, 
 Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux ; 

Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre, 
D’être immense et d’être fou 
Et de mêler le monde et tout 
A cet enivrement de vie élémentaire. 

Oh ! les pas voyageurs et clairs des anciens dieux ! 
Je m’enfouis dans l’herbe sombre 
Où les chênes versent leurs ombres 
Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu. 

Les bras fluides et doux des rivières m’accueillent ; 
Je me repose et je repars, 
Avec mon guide : le hasard, 
Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles. 

Il me semble jusqu’à ce jour n’avoir vécu 
Que pour mourir et non pour vivre : 
Oh ! quels tombeaux creusent les livres 
Et que de fronts armés y descendent vaincus ! 

Dites, est-il vrai qu’hier il existât des choses, 
Et que des yeux quotidiens 
Aient regardé, avant les miens, 
Se pavoiser les fruits et s’exalter les roses ! 

Pour la première fois, je vois les vents vermeils 
Briller dans la mer des branchages, 
Mon âme humaine n’a point d’âge ; 
Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil. 

J’aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse 
Et mes cheveux amples et blonds 
Et je voudrais, par mes poumons, 
Boire l’espace entier pour en gonfler ma force. 

Oh ! ces marches à travers bois, plaines, fossés, 
Où l’être chante et pleure et crie 
Et se dépense avec furie 
Et s’enivre de soi ainsi qu’un insensé ! 


Emile Verhaeren / Les forces tumultueuses




https://nousvoulonsdescoquelicots.org/

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le coquelicot




5 commentaires:

Bernard a dit…

Emile Verhaeren, c'est un grand nom de mon enfance écolière!

C'est fou comme la lecture et la récitation d'un poème dans notre plus tendre enfance, quand tout notre être est encore frais comme une terre nouvelle, peuvent graver à vie dans notre coeur le bonheur d'aimer.

Et pourtant, le premier poème qu'un instituteur m'a fait découvrir de lui, cet étranger d'une contrée lointaine, pas si étranger que çà, était fort sombre mais tellement émouvant et expressif:"Le moulin tourne au fond du soir...". Et nous devions nous-même l'illustrer: quelle prouesse que de couvrir une page du cahier d'un moulin vivant que les crayons de couleurs rendaient conforme à mes ressentis, à mon expérience de la réalité imaginaire et cependant totalement présente.

Plus rien ne fut comme avant! Le pouvoir des mots, des rythmes, des sons m'était révélé; écrire en se servant des codes que m'apprenait l'apprentissage soigneux et persévérant de la grammaire et de l'orthographe, de la précision sonore de la dictée hebdomadaire; partager des respirations, des silences mesurés, des intonations si diverses, tout cela justifiat la cérémonie sacrée dont le maître ou la maîtresse étaient les magiciens respectés.

Alors, "le matin", bijou de rivière "claire et légère", est depuis suspendu à mon cou et me sourit sur les chemins,
"Le corps enveloppé de vent et de lumière".

Merci Maria !!!!!!!!!!!!!!

https://www.youtube.com/watch?v=1Nad8aRjFSw

Bourrache a dit…

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Oh, Bernard, que de souvenirs tu fais ressurgir, là ! Nous avons étudié le même poème. Un autre s'est immédiatement imposé à moi. Alors, de ma contrée lointaine,je le propose - il fut un peu plus complexe à retenir celui-là. ^_^

https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/georges_rodenbach/vieux_quais
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mémoire du silence a dit…

@ Bernard ...

oui pour moi ce fut "En hiver" ICI le premier poème que je connus du grand Emile, que j'aime énormément.

La récitation était ma matière préférée à l'école j'en ai encore le goût en bouche ... et puis ses illustrations, j'adorais, j'en ai encore le son au bout des doigts ... alors ton commentaire je le reçois comme un cadeau d'avant Noël

merci !

Je mets en ligne "Le moulin tourne au fond du soir", déclamé, comme on le faisait à cette époque lointaine ... ça me fait toujours sourire...

et puis merci merci pour les coquelicots ... le sirop me donne l'eau à la bouche... ;-) Je suis d'accord avec la personne qui dit que c'est une fleur pleine de poésie, c'est une fleur que j'aime depuis toute enfant pour cette raison là ... double merci ami "d'une contrée lointaine"




@ Bourrache...

Oui Bourrache des souvenirs qui n'ont pas de mal à ressurgir car ils sont là, si près, si présent... ;-) merci !

Ton lien ne veut pas marcher , mais je suppose qu'il s'agit de "Vieux quais" de Georges RODENBACH ;

Bonheur du Jour a dit…

J'aime toujours lire des poèmes d'Emile Verhaeren : c'est mon enfance.
Et vive les coquelicots.

Bernard a dit…

Georges Rodenbach!

Oui, un nom qui ne m'est pas étranger... Mais je ne me souviens plus d'un poème signé de sa main que j'aurai appris. De fait, sa poésie me parle moins agréablement que celle d'Emile Verhaeren, car elle est pour moi souvent trop sombre, empreinte de beaucoup de tristesse voire de désespoir; et ce n'est pas ma tasse de thé! Je cultive délibérément un jardin de couleurs, de fleurs parfumées, de lumières changeantes... et de grâce que je rends à notre Terre et à son ciel infini.
Cependant... Merci Bourrache de ton témoignage et de ton "lien" qui pour moi a fonctionné!