lundi 27 juillet 2015

une heure d'émotion


Samedi 25 juillet l'émission sur France Inter : "ça peut pas faire de mal" par Guillaume Gallienne , ne pouvait pas mieux porter son nom ... émission dédiée à Jean Genet "écrivain sulfureux et solitaire, provocateur génial à la plume lyrique..." ... redécouvrir Genet ça peut pas faire de mal ... je suis restée une heure sans rien faire, sans rien dire, simplement à écouter, écouter et aimer ... m'émouvoir en écoutant dire et lire Jean Genet...






" Une solitude mortelle… Sur le zinc, tu peux blaguer, trinquer avec qui tu veux, avec n’importe qui. Mais l’Ange se fait annoncer, sois seul pour le recevoir. L’Ange, pour nous, c’est le soir, descendu sur la piste éblouissante. Que ta solitude, paradoxalement, soit en pleine lumière, et l’obscurité composée de milliers d’yeux qui te jugent, qui redoutent et espèrent ta chute, peu importe : tu danseras sur et dans une solitude désertique, les yeux bandés, si tu le peux, les paupières agrafées. Mais rien – ni surtout les applaudissements ou les rires – n’empêchera que tu danses pour ton image. Tu es un artiste – hélas – tu ne peux plus te refuser le précipice monstrueux de tes yeux. Narcisse danse ? Mais c’est d’autre chose que de coquetterie, d’égoïsme et d’amour de soi qu’il s’agit. Si c’était de la Mort elle-même ? Danse donc seul. Pâle, livide, anxieux de plaire ou de déplaire à ton image : or, c’est ton image qui va danser pour toi. 
(...)
Ton maquillage ? Excessif. Outré. Qu’il t’allonge les yeux jusqu’aux cheveux. Tes ongles seront peints. Qui, s’il est normal et bien pensant, marche sur un fil ou s’exprime en vers ? C’est trop fou. Homme ou femme ? Monstre à coup sûr. Donc, fardé, somptueusement, jusqu’à provoquer, dès son apparition, la nausée. Au premier de tes tours sur le fil on comprendra que ce monstre aux paupières mauves ne pouvait danser que là. 
(...)
Et danse ! Mais bande. Ton corps aura la vigueur arrogante d’un sexe congestionné, irrité. C’est pourquoi je te conseillais de danser devant ton image, et que d’elle tu sois amoureux. Tu n’y coupes pas : c’est Narcisse qui danse. Tu n’es plus seulement perfection mécanique et harmonieuse : de toi une chaleur se dégage et nous chauffe. Ton ventre brûle. Toutefois ne danse pas pour nous mais pour toi. Ce n’était pas une putain que nous venions voir au Cirque, mais un amant solitaire à la poursuite de son image qui se sauve et s’évanouit sur un fil de fer. Et toujours dans l’infernale contrée. Et toujours dans cette solitude mortelle et blanche. " 

Jean Genet / Le funambule


et puis
ICI et ICI  souvenez vous




.



« Je suis né à Paris le 19 décembre 1910. Pupille de l'Assistance Publique, il me fut impossible de connaître autre chose de mon état civil. Quand j'eus vingt et un ans, j'obtins un acte de naissance. Ma mère s'appelait Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. J'étais venu au monde au 22 de la rue d'Assas. - Je saurai donc quelques renseignements sur mon origine, me dis-je, et je me rendis rue d'Assas. Le 22 était occupé par la Maternité. On refusa de me renseigner. Je fus élevé dans le Morvan par les paysans. Quand je rencontre dans la lande, et singulièrement au crépuscule, au retour de ma visite des ruines de Tiffauges où vécut Gilles de Rais, des fleurs de genêt, j'éprouve à leur égard une sympathie profonde. Je les considère gravement, avec tendresse. Mon trouble semble commandé par toute la nature. Je suis seul au monde, et je ne suis pas sûr de n'être pas le roi, peut-être la fée de ces fleurs. Elles me rendent au passage un hommage, s'inclinent sans s'incliner, mais me reconnaissent. Elles savent que je suis leur représentant vivant, mobile, agile, vainqueur du vent. Elles sont mon emblème naturel, mais j'ai des racines, par elles, dans ce sol de France nourri des os en poudre des enfants, des adolescents enfilés, massacrés, brûlés par Gilles de Rais. Par cette plante épineuse des Cévennes, c'est aux aventures criminelles de Vacher que je participe. Enfin par elles dont je porte le nom le monde végétal m'est familier. Je peux sans pitié considérer toutes les fleurs, elles sont de ma famille. Si par elles je rejoins aux domaines inférieurs - mais c'est aux fougères arborescentes et à leurs marécages, aux algues, que je voudrais descendre - je m'éloigne encore des hommes. De la planète Uranus, paraît-il, l'atmosphère serait si lourde que les fougères sont rampantes; les bêtes se traînent écrasées par le poids des gaz. À ces humiliés toujours sur le ventre, je me veux mêlé. Si la métempsycose m'accorde une nouvelle demeure, je choisis cette planète maudite, je l'habite avec les bagnards de ma race. Parmi d'effroyables reptiles, je poursuis une mort éternelle, misérable, dans les ténèbres où les feuilles seront noires, l'eau des marécages épaisse et froide. Le sommeil me sera refusé. Au contraire, toujours plus lucide, je reconnais l'immonde fraternité des alligators souriants. »

Jean Genet / Journal du voleur 


***









« Un jour j'ai trouvé Jean Genet assis dans mon fauteuil. Alexandre l'avait rencontré dans la rue et, sachant mon admiration juvénile, l'avait invité chez nous. Le poète ne tarda pas à s'installer dans l'appartement voisin. Le soir même j'entrai joyeusement dans sa chambre pour discuter avec lui, exprimant sans censure mes désaccords à celui dont l'oeuvre avait bouleversé mes seize ans. Genet devint de glace. Le lendemain il signifia à Alexandre mon bannissement : « Je ne veux plus la voir, elle me contredit tout le temps. D'ailleurs Lydie est une femme et je déteste les femmes ». Cette parole qui me rejetait dans la nuit de mon sexe me désespéra. Trouvant mon salut dans l'orgueil, je décidai d'écrire un poème si beau qu'il l'obligerait à revenir vers moi. Surmontant mon désespoir j'écrivis "La Nuit spirituelle", pour le blesser aussi radicalement qu'il l'avait fait, lui rendant mort pour mort. Quand je posai ma plume, face à sa haine des femmes luisait le bloc de nuit de mon poème, lequel en lui donnant raison lui donnait tort. La semaine suivante on cogna à la porte : c'était Genet qui venait demander pardon. »

Lydie Dattas 





2 commentaires:

J... a dit…

Merci beaucoup
vraiment
merci beaucoup
♥♥♥

Maïté/Aliénor a dit…

Merci Maria-D

J'ai lu mais devrai lire encore et encore certaines de ses œuvres que j'ai là en attente.