mardi 19 janvier 2016

J'aimais son écriture




“Je t'ai adorée, tu me l'as rendu au centuple. Merci la vie!”
Michel Tournier







          " Lorsque Robinson reprit connaissance, il était couché, la figure sur le sable. Une vague déferla sur la grève mouillée et vint lui lécher les pieds. Il se laissa rouler sur le dos. Des mouettes noires et blanches tournoyaient dans le ciel redevenu bleu après la tempête. Robinson s’assit avec effort et ressentit une vive douleur à l’épaule gauche. La plage était jonchée de poissons morts, de coquillages brisés et d’algues noires rejetés par les flots. A l’ouest, une falaise rocheuse s’avançait dans la mer et se prolongeait par une chaîne de récifs. C’était là que se dressait la silhouette de La Virginie avec ses mâts arrachés et ses cordages flottant dans le vent. 
          Robinson se leva et fit quelques pas. Il n’était pas blessé, mais son épaule contusionnée continuait à lui faire mal. Comme le soleil commençait à brûler, il se fit une sorte de bonnet en roulant de grandes feuilles qui croissaient au bord du rivage. Puis il ramassa une branche pour s’en faire une canne et s’enfonça dans la forêt. 
 Les troncs des arbres abattus formaient avec les taillis et les lianes qui pendaient des hautes branches un enchevêtrement difficile à percer, et souvent Robinson devait ramper à quatre pattes pour pouvoir avancer. Il n’y avait pas un bruit, et aucun animal ne se montrait. Aussi Robinson fut-il bien étonné en apercevant à une centaine de pas la silhouette d’un bouc sauvage à poil très long qui se dressait, immobile, et qui paraissait l’observer. Lâchant sa canne trop légère, Robinson ramassa une grosse souche qui pouvait lui servir de massue et l’abattit de toutes ses forces entre les cornes du bouc. La tête tomba sur les genoux, puis bascula sur le flanc. 
          Après plusieurs heures de marche laborieuse, Robinson arriva au pied d’un massif de rochers entassés en désordre. Il découvrit l’entrée d’une grotte, ombragée par un cèdre géant ; mais il n’y fit que quelques pas, parce qu’elle était trop profonde pour pouvoir être explorée ce jour-là. Il préféra escalader les rochers, afin d’embrasser une vaste étendue du regard. C’est ainsi, debout sur le sommet du plus haut rocher, qu’il constata que la mer cernait de tous côtés la terre où il se trouvait et qu’aucune trace d’habitation n’était visible ; il était donc sur une île déserte. Il s’expliqua ainsi l’immobilité du bouc qu’il avait assommé. Les animaux sauvages qui n’ont jamais vu l’homme ne fuient pas à son approche. Au contraire, ils l’observent avec curiosité.
          Robinson était accablé de tristesse et de fatigue. En errant au pied du grand rocher, il découvrit une espèce d’ananas sauvage qu’il découpa avec son couteau de poche et qu’il mangea. Puis il se glissa sous une pierre et s’endormit. " 


 Michel Tournier / Vendredi ou la vie sauvage 




2 commentaires:

Gérard a dit…

bel hommage à ce grand auteur français

Maïté/Aliénor a dit…

Les essentiels s'en vont... Peu à peu... En silence.