samedi 2 juillet 2016

l'adieu


A 13 h aujourd'hui j'apprenais sa mort hier
1er juillet
jour de l'anniversaire à mon fils ...
je l'aimais   je l'aime et mon cœur est peiné

hier je le lisais encore







  







Que ce monde demeure


I

Je redresse une branche
Qui s'est rompue. Les feuilles
Sont lourdes d'eau et d'ombre
Comme ce ciel, d'encore

Avant le jour. Ô terre,
Signes désaccordés, chemins épars,
Mais beauté, absolue beauté,
Beauté de fleuve,

Que ce monde demeure,
Malgré la mort !
Serrée contre la branche
L'olive grise.

II

Que ce monde demeure,
Que la feuille parfaite
Ourle à jamais dans l'arbre
L'imminence du fruit !

Que les huppes, le ciel
S'ouvrant, à l'aube,
S'envolent à jamais, de dessous le toit
De la grange vide,

Puis se posent, là-bas
Dans la légende,
Et tout est immobile
Une heure encore.

III

Que ce monde demeure !
Que l'absence, le mot
Ne soient qu'un, à jamais,
Dans la chose simple.

L'un à l'autre ce qu'est
La couleur à l'ombre,
L'or du fruit mûr à l'or
De la feuille sèche.

Et ne se dissociant
Qu'avec la mort
Comme brillance et eau quittent la main
Où fond la neige.

IV

Oh, que tant d'évidence
Ne cesse pas
Comme s'éteint le ciel
Dans la flaque sèche,

Que ce monde demeure
Tel que ce soir,
Que d'autres que nous prennent
Au fruit sans fin,

Que ce monde demeure,
Qu'entre, à jamais,
La poussière brillante du soir d'été
Dans la salle vide,

Et ruisselle à jamais
Sur le chemin
L'eau d'une heure de pluie
Dans la lumière.

V

Que ce monde demeure,
Que les mots ne soient pas
Un jour ces ossements
Gris, qu'auront becquetés,

Criant, se disputant,
Se dispersant,
Les oiseaux, notre nuit
Dans la lumière.

Que ce monde demeure
Comme cesse le temps
Quand on lave la plaie
De l'enfant qui pleure.

Et lorsque l'on revient
Dans la chambre sombre
On voit qu'il dort en paix,
Nuit, mais lumière.

VI

Bois, disait celle qui
S'était penchée,
Quand il pleurait, confiant,
Après sa chute.

Bois, et qu'ouvre ta main
Ma robe rouge,
Que consente ta bouche
À sa bonne fièvre.

De ton mal presque plus
Rien ne te brûle,
Bois de cette eau, qui est
L'esprit qui rêve.

VII

Terre, qui vint à nous
Les yeux fermés
Comme pour demander
Qu'une main la guide.

Elle dirait : nos voix
Qui se prennent au rien
L'une de l'autre soient
Notre suffisance.

Nos corps tentent le gué
D'un temps plus large,
Nos mains ne sachent rien
De l'autre rive.

L'enfant naisse du rien
Du haut du fleuve
Et passe, dans le rien,
De barque en barque.

VIII

Et encore : l'été
N'aura qu'une heure
Mais la nôtre soit vaste
Comme le fleuve.

Car c'est dans le désir
Et non le temps
Qu'a puissance l'oubli
Et que mort travaille,

Et vois, mon sein est nu
Dans la lumière
Dont les peintures sombres, indéchiffrées,
Passent rapides
.


Yves Bonnefoy / les planches courbes



***







L'adieu 

Nous sommes revenus à notre origine. 
Ce fut le lieu de l'évidence, mais déchirée. 
Les fenêtres mêlaient trop de lumières, 
Les escaliers gravissaient trop d'étoiles 
Qui sont des arches qui s'effondrent, des gravats, 
Le feu semblait brûler dans un autre monde. 

Et maintenant des oiseaux volent de chambre en chambre, 
Les volets sont tombés, le lit est couvert de pierres, 
L'âtre plein de débris du ciel qui vont s'éteindre. 
Là nous parlions, le soir, presque à voix basse 
A cause des rumeurs des voûtes, là pourtant 
Nous formions nos projets : mais une barque, 
Chargée de pierres rouges, s'éloignait 
Irrésistiblement d'une rive, et l'oubli 
Posait déjà sa cendre sur les rêves 
Que nous recommencions sans fin, peuplant d'images 
Le feu qui a brûlé jusqu'au dernier jour. 

Est-il vrai, mon amie, 
Qu'il n'y a qu'un seul mot pour désigner 
Dans la langue qu'on nomme la poésie 
Le soleil du matin et celui du soir, 
Un seul le cri de joie et le cri d'angoisse, 
Un seul l'amont désert et les coups de haches, 
Un seul le lit défait et le ciel d'orage, 
Un seul l'enfant qui naît et le dieu mort ? 

Oui, je le crois, je veux le croire, mais quelles sont 
Ces ombres qui emportent le miroir ? 
Et vois, la ronce prend parmi les pierres 
Sur la voie d'herbe encore mal frayée 
Où se portaient nos pas vers les jeunes arbres. 
Il me semble aujourd'hui, ici, que la parole 
Est cette auge à demi brisée, dont se répand 
A chaque aube de pluie l'eau inutile. 

L'herbe et dans l'herbe l'eau qui brille, comme un fleuve. 
Tout est toujours à remailler du monde. 
Le paradis est épars, je le sais, 
C'est la tâche terrestre d'en reconnaître 
Les fleurs disséminées dans l'herbe pauvre, 
Mais l'ange a disparu, une lumière 
Qui ne fut plus soudain que soleil couchant. 

Et comme Adam et Ève nous marcherons 
Une dernière fois dans le jardin. 
Comme Adam le premier regret, comme Ève le premier 
Courage nous voudrons et ne voudrons pas 
Franchir la porte basse qui s'entrouvre 
Là-bas, à l'autre bout des longes, colorée 
Comme auguralement d'un dernier rayon. 
L'avenir se prend-il dans l'origine 
Comme le ciel consent à un miroir courbe, 
Pourrons-nous recueillir de cette lumière 
Qui a été le miracle d'ici 
La semence dans nos mains sombres, pour d'autres flaques 
Au secret d'autres champs « barrées de pierres » ? 

Certes, le lieu pour vaincre, pour nous vaincre, c'est ici 
Dont nous partons, ce soir. 
Ici sans fin 
Comme cette eau qui s'échappe de l'auge. 


Yves Bonnefoy / Ce qui fut sans lumière / Poésie Gallimard ... p.21,22,23 



ici un bel hommage

3 commentaires:

michel, à franquevaux. a dit…

Le lieu c'est ici,
tout est une évidence,
et je ne lis plus rien.

Un fraternel salut ...

Maïté/Aliénor a dit…

Je savais que je trouverais un vibrant hommage chez vous.
Je l'aime aussi.
La poésie est orpheline d'un grand homme.

Patrick Lucas a dit…

un immense poète
merci