lundi 16 septembre 2019

il parlait à n'importe qui








Je parle à n'importe qui


" Il est six heures ici et midi à New York ? Hong Kong ? D'accord ! Et vous ? En ce moment, tu te tourmentes dans ton aventure droite... Et va donc ! Les traîtres, ça se cause à minuit, un peu avant de dormir... Et ça vous fait dormir Il est dix heures ici et mille miles sur l'autoroute de Vancouver Il y a des oliviers en Toscane qui s'allument, fleuris, à la tramontane Essorer, essorer... C'est ça le verbe de la pollution Je suis pollué à cette heure préface L'introduction du devoir et de l'amour... C'est la messe à minuit de tes parfums superbes Un peu en dessous de l'horizon, pour ne pas gêner les flamants roses Pink Floyd... Dans un moulin, la nuit, avec l'eau qui court en dessous de toi Il y avait dans vos yeux, petite, ce soir, vers la marée descendante, Gare Saint-Lazare Un peu de cette attente au bord du sacrifice... C'est délirant, non ? L'amour ça s'attend et puis, quand ça vient, c'est trop fort, comme un alcool dans le désert L'amour , ça se prend, alors, et ça se déshabille et ça se tache, et ça se pollue Et ça recommence au bord de la mer Noire ou à Créteil Oui, à Créteil, dans cette forêt inventée hier matin dans le désastre de la fourmilière Créteil, forêt blanche JE PARLE À N'IMPORTE QUI Aux insoumis Aux arcs-en-ciel Aux putains galaxiques qui n'en finiront pas de nous arriver éteintes depuis des temps et des temps Aux assassins Aux artistes Aux prêtres À la voix d'outre-Manche, là-haut, vers la marée défaite et du côté de Guernesey Aux parfums Aux chiens savants Aux chiens perdus À ces oiseaux rapaces qui attendent le malheur sur l'autoroute vers Zurich Aux routiers À Rutebeuf À ceux qui votent À Jacques Prévert comme une misère adorée et qui ne vote pas Aux lugubres sous les verres noirs d'un week-end à Cannes À ce milliardaire impotent qui s'illumine de droiture et de sueur à kleenex de couleur et de préférence for man Aux pavés secs de 68 À ceux mouillés des larmes de gosses Au Président du Tribunal de Bougie qui ne m'amènera jamais AMRIA au nom rouge et ses douze ans ce soir partis vers la peur et la vie qui va Aux araignées qui filent Aux architectes qui se foutent des araignées qui filent ou qui ne fileront jamais À Ravel LES AUTOS QUI ROULENT ? CE SOIR ? ÇA FAIT UN VACARME A NE PAS METTRE UN CHIEN DEDANS ET UN HOMME AVEC LES CHIENS ET LES HOMMES QUAND ÇA ROULE, LE SOIR? DANS LES AUTOS, ÇA PENSE A L'ARABIE ET A L'HYDROGÈNE ET A LA VIE TRANQUILLE AU BORD DE CE MEXIQUE OU TU POURRAS ENTRER DEMAIN MATIN SI TA GUITARE EST BIEN DROITE ET SI SES CORDES NE SONT PAS EMMÊLÉES LE S GUITARES, LA NUIT, FONT UN VACARME A NE PAS METTRE UN DIAPASON A LA RADIO, COMME UN SEXTANT DE L'ILLUSOIRE JE PARLE A L'ILLUSION Bonsoir, Madame ! Bonsoir, et tenez-moi chaud aux sentiments Je monte du FER et de l'antarctique et du CHINOIS et de la CULTURE solennelle Viens dans mes bras, déshabillez-vous, quittez ton pull, tes rêves, vos façons d'insoumise et partons, cinq minutes, dans le noir illuminé de l'Autre, toujours l'Autre... Nous lui apprendrons alors les bonnes manières et la fierté et le don, tu comprends ? Le don ! JE TE DONNE JE TE FAIS JE T'INVENTE JE T'APPRENDS JE TE CARESSE DE LOIN TU M'ISOLES COMME UNE MARQUE ET JE TE MARQUE COMME DANS UN WESTERN DU VENDREDI SOIR JE TE MANGE ET TU M'OUBLIES JE T'APPORTE L'ENFANT DE CES GENS QUI ONT PEUR JE TE VENTRE ET T'IMMOLE SUR UN TROTTOIR TOUT A L'HEURE AVEC UN CHIMPANZÉ DANS LES BRAS ET SATIE DANS SON PIANO  "









" Je parle à n'importe qui ... Aux machines à écrire En as-tu pris des coups, petite ! sous le style et les comptes et les graffiti chics et Shakespeare coincé là-bas dans son to be Aux portes de secours dans ce ciné d'outre passé avec les chiottes pas loin où meurent les victoires Aux chagrins orphelins dans les rues de la terre et puis dans les chemins aussi avec de la bruyère Aux chansons vagabondes avec du vague à l'âme Aux trésors enfouis dans la tête des gens Aux particules spécialisées dans la défaite Aux paravents de biais sur mon âme en cache-nez Aux radios dans la nuit qui halètent des signes À ces draps que la Mort figurée te conseille Je ne veux pas connaître la maison de ma mort Éparpillé, petite, c'est comme ça que je meurs sur les hectares de Créteil, le soir, dans le tumulte À la sueur fidèle et que tu mouches vite Aux pianos droits Aux pianos faux Aux pianos de misère À cette girl septante fois putain septante fois misère septante fois caduque À ce particulier qui pue tout ce qu'il sait et il en sait, je vous jure ! Aux magasins cachés dans le port des obstacles Aux rues barrées où le silence fait fortune À ces deux copains-là qui se grattent la tête Aux carnavals parqués à la Fête à Neuneu Aux sources du Carmel quand les frangines coulent À cet ixe barré sparadrap de fortune Aux calices vidés dans les bars-tabernacles Au coca goudronné de cette fleur de l'âge entrevue à minuit l'autre jour à Créteil À tout ce qui la tient haut perchée glissante vers un job de fortune À l'archange mixé dans un drug de misère À ce mouton vêtu de sang dans cette rue toscane LASCIATE OGNI SPERANZA toi qui canes ... 

Ecoute ! Ecoute ! Ecoute ! ... Ecoute Kamel ! Salut ! "


Léo Ferré / Les chants de la fureur  / Gallimard / La mémoire et la mer... p. 616 à 633




Le texte en son entier   ici
le CD ici

Aucun commentaire: