Je parle à n'importe qui
" Il est six heures ici et midi à New York ?
Hong Kong ? D'accord ! Et vous ?
En ce moment, tu te tourmentes dans ton aventure droite...
Et va donc !
Les traîtres, ça se cause à minuit, un peu avant de dormir...
Et ça vous fait dormir
Il est dix heures ici et mille miles sur l'autoroute de Vancouver
Il y a des oliviers en Toscane qui s'allument, fleuris, à la tramontane
Essorer, essorer... C'est ça le verbe de la pollution
Je suis pollué à cette heure préface
L'introduction du devoir et de l'amour...
C'est la messe à minuit de tes parfums superbes
Un peu en dessous de l'horizon, pour ne pas gêner les flamants roses
Pink Floyd... Dans un moulin, la nuit, avec l'eau qui court en dessous de toi
Il y avait dans vos yeux, petite, ce soir, vers la marée descendante, Gare Saint-Lazare
Un peu de cette attente au bord du sacrifice... C'est délirant, non ?
L'amour ça s'attend et puis, quand ça vient, c'est trop fort, comme un alcool dans le désert
L'amour , ça se prend, alors, et ça se déshabille et ça se tache, et ça se pollue
Et ça recommence au bord de la mer Noire ou à Créteil
Oui, à Créteil, dans cette forêt inventée hier matin dans le désastre de la fourmilière
Créteil, forêt blanche
JE PARLE À N'IMPORTE QUI
Aux insoumis
Aux arcs-en-ciel
Aux putains galaxiques qui n'en finiront pas de nous arriver éteintes depuis des temps et des temps
Aux assassins
Aux artistes
Aux prêtres
À la voix d'outre-Manche, là-haut, vers la marée défaite et du côté de Guernesey
Aux parfums
Aux chiens savants
Aux chiens perdus
À ces oiseaux rapaces qui attendent le malheur sur l'autoroute vers Zurich
Aux routiers
À Rutebeuf
À ceux qui votent
À Jacques Prévert comme une misère adorée et qui ne vote pas
Aux lugubres sous les verres noirs d'un week-end à Cannes
À ce milliardaire impotent qui s'illumine de droiture et de sueur à kleenex de couleur et de préférence for man
Aux pavés secs de 68
À ceux mouillés des larmes de gosses
Au Président du Tribunal de Bougie qui ne m'amènera jamais
AMRIA au nom rouge et ses douze ans ce soir partis vers la peur et la vie qui va
Aux araignées qui filent
Aux architectes qui se foutent des araignées qui filent ou qui ne fileront jamais
À Ravel
LES AUTOS QUI ROULENT ? CE SOIR ?
ÇA FAIT UN VACARME A NE PAS METTRE UN CHIEN DEDANS ET UN HOMME AVEC LES CHIENS ET LES HOMMES QUAND ÇA ROULE, LE SOIR?
DANS LES AUTOS, ÇA PENSE A L'ARABIE ET A L'HYDROGÈNE ET A LA VIE TRANQUILLE
AU BORD DE CE MEXIQUE OU TU POURRAS ENTRER DEMAIN MATIN
SI TA GUITARE EST BIEN DROITE
ET SI SES CORDES NE SONT PAS EMMÊLÉES
LE S GUITARES, LA NUIT, FONT UN VACARME A NE PAS METTRE UN DIAPASON
A LA RADIO, COMME UN SEXTANT DE L'ILLUSOIRE
JE PARLE A L'ILLUSION
Bonsoir, Madame ! Bonsoir, et tenez-moi chaud aux sentiments
Je monte du FER et de l'antarctique et du CHINOIS et de la CULTURE solennelle
Viens dans mes bras, déshabillez-vous, quittez ton pull, tes rêves, vos façons d'insoumise et partons, cinq minutes, dans le noir illuminé de l'Autre, toujours l'Autre...
Nous lui apprendrons alors les bonnes manières et la fierté et le don, tu comprends ? Le don !
JE TE DONNE
JE TE FAIS
JE T'INVENTE
JE T'APPRENDS
JE TE CARESSE DE LOIN
TU M'ISOLES COMME UNE MARQUE ET JE TE MARQUE
COMME DANS UN WESTERN DU VENDREDI SOIR
JE TE MANGE ET TU M'OUBLIES
JE T'APPORTE L'ENFANT DE CES GENS QUI ONT PEUR
JE TE VENTRE ET T'IMMOLE SUR UN TROTTOIR TOUT A L'HEURE
AVEC UN CHIMPANZÉ DANS LES BRAS ET SATIE DANS SON PIANO "
" Je parle à n'importe qui ... Aux machines à écrire En as-tu pris des coups, petite ! sous le style et les comptes et les graffiti chics et Shakespeare coincé là-bas dans son to be
Aux portes de secours dans ce ciné d'outre passé avec les chiottes pas loin où meurent les victoires
Aux chagrins orphelins dans les rues de la terre et puis dans les chemins aussi avec de la bruyère
Aux chansons vagabondes avec du vague à l'âme
Aux trésors enfouis dans la tête des gens
Aux particules spécialisées dans la défaite
Aux paravents de biais sur mon âme en cache-nez
Aux radios dans la nuit qui halètent des signes
À ces draps que la Mort figurée te conseille
Je ne veux pas connaître la maison de ma mort Éparpillé, petite, c'est comme ça que je meurs sur les hectares de Créteil, le soir, dans le tumulte
À la sueur fidèle et que tu mouches vite
Aux pianos droits
Aux pianos faux
Aux pianos de misère
À cette girl septante fois putain septante fois misère septante fois caduque
À ce particulier qui pue tout ce qu'il sait et il en sait, je vous jure !
Aux magasins cachés dans le port des obstacles
Aux rues barrées où le silence fait fortune
À ces deux copains-là qui se grattent la tête
Aux carnavals parqués à la Fête à Neuneu
Aux sources du Carmel quand les frangines coulent
À cet ixe barré sparadrap de fortune
Aux calices vidés dans les bars-tabernacles
Au coca goudronné de cette fleur de l'âge entrevue à minuit l'autre jour à Créteil
À tout ce qui la tient haut perchée glissante vers un job de fortune
À l'archange mixé dans un drug de misère
À ce mouton vêtu de sang dans cette rue toscane
LASCIATE OGNI SPERANZA toi qui canes ...
Ecoute ! Ecoute ! Ecoute ! ... Ecoute Kamel ! Salut ! "
Léo Ferré / Les chants de la fureur / Gallimard / La mémoire et la mer... p. 616 à 633
Le texte en son entier ici
le CD ici
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