vendredi 18 mai 2018

Dispositions poétiques

  poème de  Mahmoud Darwich 






Les étoiles n’avaient qu’un rôle : 
M’apprendre à lire 
J’ai une langue dans le ciel 
Et sur terre, j’ai une langue 
Qui suis-je ? Qui suis-je ? 

Je ne veux pas répondre ici 
Une étoile pourrait tomber sur son image 
La forêt des châtaigniers, me porter de nuit 
Vers la voie lactée, et dire 
Tu vas demeurer là 

Le poème est en haut, et il peut 
M’enseigner ce qu’il désire 
Ouvrir la fenêtre par exemple 
Gérer ma maison entre les légendes 
Et il peut m’épouser. Un temps 

Et mon père est en bas 
Il porte un olivier vieux de mille ans 
Qui n’est ni d’Orient, ni d’Occident 
Il se repose peut-être des conquérants 
Se penche légèrement sur moi 
Et me cueille des iris 

Le poème s’éloigne 
Il pénètre un port de marins qui aiment le vin 
Ils ne reviennent jamais à une femme 
Et ne gardent regrets, ni nostalgie 
Pour quoi que ce soit 

Je ne suis pas encore mort d’amour 
Mais une mère qui voit le regard de son fils 
Dans les œillets, craint qu’il ne blessent le vase 
Puis elle pleure pour conjurer l’accident 
Et me soustraire aux périls 
Que je vive, ici là 

Le poème est dans l’entre-deux 
Et il peut, des seins d’une jeune fille, éclairer les nuits 
D’une pomme, éclairer deux corps 
Et par le cri d’un gardénia 
Restituer une patrie 

Le poème est entre mes mains, et il peut 
Gérer les légendes par le travail manuel 
Mais j’ai égaré mon âme 
Lorsque j’ai trouvé le poème 
Et je lui ai demandé 
Qui suis-je ? 
Qui suis-je ? 


Mahmoud Darwich
Extrait de "Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?" /Actes Sud, 1996, pages 79 à 81




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