mercredi 12 août 2020

corps sans poids








" Hirondelle découvreuse d'espaces, corps sans poids sous les longues plumes d'acier bleui, une tâche de sang immémoriale à la poitrine, chaque matin, de ton fil-perchoir vert-de-grisé, tu fonçais furieusement, suraiguë, frôlant, dénonçant, débuchant le faux sommeil du chat parmi les jacinthes bouclées, et le rite accompli, remontais à ton chant, toujours plus serré, plus volubile. Compagne écoutée sans fin, sans fin contemplée, ouvrant, reployant une aile, puis l'autre, avec des clins d'œil alternés et ce grésillement de gorge avant chaque pause de la voix, oh si semblable à tes sœurs là-haut tournoyantes, si prête à les rejoindre au plein du ciel que notre fraternité me semblait naître chaque jour d'un nouveau miracle...
Je n'entendais pas le timide appel surgi peu à peu de ta seule fidélité de présence, je ne savais pas nos rencontres concertées ni pourquoi tes brusques fléchissements d'angoisse au cœur même de l'exultation. Et toi, tout habitée de ton secret, désireuse à mourir de m'en faire confidence, la ferveur, l'entêtement, la colère, le désespoir nourrissaient ton chant à le rompre. Tu tremblais, toute proche de la transe, et je voyais battre, battre ta gorge sous le bec entr'ouvert.
Ah ! que peut un petit oiseau contre la vieille surdité des hommes ? Ils épellent, oui, le roucoulement des ramiers ou les exercices du merle, un soir, au bas du ciel d'avril, mais c'est pour perdre souffle à la première alouette. À mon tour, j'essayais de suivre note à note, haletant, ces effusions éperdues, comme on écoute déferler parfois aux lèvres des dormeurs un flux d'obscures paroles. Au-delà du chant, à travers lui, je le pressentais : des choses étaient dites sans relâche où nous apprendrions enfin nos pouvoirs profonds. Mais quelque chose en moi demeurait clos à ce langage. Exclu de la merveille et du secret, rompu d'attente, chancelant comme un chercheur de trésors aux mains vides...
O la tristesse des retours par les chemins de champs, la dernière alouette retombée aux chaumes, sous la voûte où déjà s'illuminait le mortel affût des Guetteurs ! "


Gustave Roud / Requiem / MINI-ZOE... p.43 et 44





2 commentaires:

estourelle a dit…

que peut un petit oiseau
donner son chant
par pur plaisir
que peut le poète
donner ses mots
par pur plaisir
d'un corps trop lourd
on prend la mesure
la légèreté de l'oiseau
jamais ne l'atteindrons

mémoire du silence a dit…

merci !