jeudi 25 février 2021

une lumière s'est éteinte

« Que la fin nous illumine »
 
 
 
 
 
 
 
Les eaux et les forêts
 
 
La clarté de ces bois en mars est irréelle, 
tout est encor si frais qu'à peine insiste-t-elle.
Les oiseaux ne sont pas nombreux ; tout juste si, 
très loin, où l'aubépine éclaire les taillis, 
le coucou chante. On voit scintiller des fumées 
qui emportent ce qu'on brûla d'une journée, 
la feuille morte sert les vivantes couronnes, 
et suivant la leçon des plus mauvais chemins, 
sous les ronces, on rejoint le nid de l'anémone, 
claire et commune comme l'étoile du matin.
 
 
 II 
 
Quand même je saurais le réseau de mes nerfs 
aussi précaire que la toile d'araignée,  
je n'en louerais pas moins ces merveilles de vert, 
ces colonnes, même choisies pour la cognée,
 
et ces chevaux de bûcherons... Ma confiance 
devrait s'étendre un jour à la hache, à l'éclair, 
si la beauté de mars n'est que l'obéissance 
du merle et de la violette, par temps clair.
 
 
 III
 
 Le dimanche peuple les bois d'enfants qui geignent, 
de femmes vieillissantes ; un garçon sur deux saigne 
au genou, et l'on rentre avec des mouchoirs gris, 
laissant de vieux papiers près de l'étang... Les cris 
s'éloignent avec la lumière. Sous les charmes, 
une fille retend sa jupe à chaque alarme, 
l'air harassé. Toute douceur, celle de l'air 
ou de l'amour, a la cruauté pour revers, 
tout beau dimanche a sa rançon, comme les fêtes 
ces taches sur les tables où le jour nous inquiète.
 
 
IV 
 
Toute autre inquiétude est encore futile,
je ne marcherai pas longtemps dans ces forêts,
et la parole n'est ni plus ni moins utile
que ces chatons de saule en terrain de marais :
 
peu importe qu'ils tombent en poussière s'ils brillent, 
bien d'autres marcheront dans ces bois qui mourront, 
peu importe que la beauté tombe pourrie, 
puisqu'elle semble en la totale soumission.
 
 
 
Philippe Jaccottet / L'EFFRAIE 1946-1950
Poésie 1946-1967 / Poésie Gallimard ... p. 45, 46, 47, 48.
 
 
 
 
 

1 commentaire:

Maïté/Aliénor a dit…

Merci de donner à lire tous ces poèmes de Philippe Jaccottet.
Même si parfois il peut être difficile d'accès, sa contribution est immense.
Que du plaisir de le lire chez toi.